14 février 2020
Benjamin Griveaux vient d'en faire la douloureuse expérience : à l'ère de la surexposition médiatique et des réseaux sociaux, il n'y a plus de vie privée. Bienvenue dans le monde de la transparence ! Considérée comme vertu cardinale, la transparence s'étale urbi et orbi comme revendication omniprésente depuis plusieurs années. Rêve lyrique d'une maison de verre, elle constitue pourtant le signe le plus évident d'un univers totalitaire.
"La société totalitaire […] tend à abolir la frontière entre le public et le privé ; le pouvoir, surtout dans ses versions extrêmes, exige que la vie des citoyens soit on ne peut plus transparente", explique Kundera dans L'art du roman. L'auteur sait de quoi il parle. Le sujet l'a tant marqué qu'il traverse une grande part de son œuvre. Aussi affirme-t-il dans Les testaments trahis :"Le privé et le public sont deux mondes différents par essence et le respect de cette différence est la condition sine qua non pour qu'un homme puisse vivre en homme libre."
Nous qui sommes (en apparence ?) si attachés à la liberté, combien nous faudra-t-il encore d'affaires Griveaux pour que nous cessions d'appeler la transparence de nos vœux ? Et parlions plutôt de rendu compte, de redevabilité – cet affreux néologisme malgré tout préférable – ou encore de clarté, de sens, d'évaluation… ?
Car la transparence, si l'on comprend bien ce qu'elle signifie, installe un monde où (toujours comme le dit Kundera) "personne ne peut plus s'échapper nulle part". Le risque est grand que nous y entrions de plain-pied – à moins qu'il ne soit déjà trop tard pour l'éviter.