Battre en retraite


16 février 2020

Que les amoureux de Napoléon me pardonnent ! La relecture de Guerre et Paix souligne de quelle grande intelligence stratégique fit preuve le général Koutouzov. Replier ses troupes et battre en retraite furent ses armes les plus efficaces – même lorsque cela impliqua d'abandonner Moscou à son puissant adversaire. Sans hésiter à prêter le flanc aux critiques, il n'eut qu'une obsession : sauver la Russie. 

Dans la bataille qui se livre autour des retraites depuis des mois, le gouvernement n'est pas condamné à l'impuissance. Entre sa majorité parlementaire et les ordonnances, il finira bien par faire passer la réforme. Mais à quel prix, et au nom de quoi ? 

Personne ne comprend plus rien à cette réforme – ni à son sens, ni à son mode opératoire, encore moins à son économie générale. Les régimes spéciaux, les 

avocats, les enseignants, le personnel soignant, les policiers… se voient proposer des solutions en ordre dispersé. Ajoutons au tableau les discussions sur la pénibilité et le renvoi du financement à une date ultérieure. Où est l'universalité promise ? Comment le principe d'équité invoqué peut-il résister à ces dénaturations successives ? Quant aux joutes autour d'un âge pivot ou d'équilibre, elles restent parfaitement virtuelles tant qu'aucune solution pratique n'est mise en place pour l'emploi des seniors. 

On parle pourtant d'une réforme considérée comme majeure ! Dont l'enjeu de cohésion social est déterminant, avec des implications financières énormes. Et on préfère se débarrasser du sujet en vitesse afin de passer à autre chose plutôt que d'opérer un repli stratégique permettant de le reprendre  dans le bon sens ? 

Battre en retraite, ce ne serait pas renoncer mais se donner les moyens de préserver l'essentiel. D'abord, en réaffirmant la raison d’être non négociable de la réforme. Ensuite, en ouvrant le jeu et en créant des occasions inédites par un contrepied qui témoignerait d'une vraie habileté stratégique.

L'art de bien gouverner, comme l'avait compris le général Koutouzov, c'est accepter que certaines victoires ont le goût amer de défaites et qu'il faut parfois battre en retraite… pour gagner la guerre.


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